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Décomposition de famille

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L’inquiétude règne sur la principauté de Bellechique. Depuis quelques années les tensions sont vives entre les peuples de l’Ouest et de l’Est. Quand soudain le grand Ernest, élu de la cité d’Alenvert, mû par une vision fulgurante et interpellante, prend la parole au grand journal de TéléBellechique un soir d’automne quand les feuilles sont toujours accrochées aux branches mais plus pour longtemps.

 

“Nous avons tout faux, proclame-t-il en direct ! Il faut couper Bellechique en deux le long de la rivière Meuh. Les territoires de l’Ouest doivent être souverains et ne peuvent plus rester liés aux territoires de l’Est, c’est mauvais pour le karma du Peuple Sacré de l’Ouest. Quant à Palusella, la capitale, qu’elle choisisse son camp, on s’en fout ! Ainsi en sera-t-il.”

 

Le lendemain, les commentaires vont bon train parmi les habitants de Bellechique. Cela fait un moment que les habitants de l’Ouest ont désappris à connaître ceux de l’Est. Un lavage de cerveau politique et collectif, bien relayé par la presse et basé sur la haine de l’autre est venu à bout des dernières résistances : la moitié des habitants de l’Ouest considèrent que ceux de l’Est sont un poids mort. Une bande d’alcooliques, pathétiquement unilingues... Et les habitants de l’Est sont las de se faire traiter d’assistés. Surtout ceux qui, comme moi parlent plusieurs langues, travaillent depuis toujours à temps plein et ne s’imbibent pas toutes les deux minutes.

 

Au niveau suprême, la riposte s’organise. En secret, les grands responsables de la Guilde du Commerce et de la Sainte Politique  se réunissent, entourés d’experts de tous horizons,  pour réfléchir au problème. Mais que faire ? Comment ramener le peuple de l’Ouest à la raison ?

 

Ils le savent bien, les grands marchands, que l’Ouest vend ses biens et services principalement à l’Est. C’est un échange territorial, pacifique et sans taxe. Et le commerce, c’est ce qui fait tourner le monde. Que se passerait-il si le peuple de l’Est allait faire ses courses ailleurs et s’il refusait de passer ses vacances au grand lac de l’Ouest ? Un économiste prend la parole et s’étonne que le grand Ernest n’ait jamais entendu parler des cycles de Kondratiev. L’économie fluctue, les performances du passé ne constituent en rien une garantie pour les performances futures. Celui qui est riche aujourd’hui sera pauvre demain. Enfin, plus probablement, nous serons tous pauvres demain.

 

Un élu ajoute : “Nous faisons partie d’une économie désormais mondiale, les territoires de l’Ouest ou de l’Est ne représentent rien à cette échelle. Le rayonnement de Bellechique s’arrêtera à sa dissolution. Se séparer c’est disparaître.” Une linguiste prend alors la parole : “Force est de constater qu’à l’échelle internationale, la langue de l’Ouest est très minoritaire alors que la langue de l’Est fait partie des langues les plus parlées au monde. C’est assez paradoxal, non ?"

 

M. Petitpaul, éminent politologue s’emporte : “les élus de l’Ouest détiennent en fait tous les pouvoirs au niveau suprême de notre principauté fédérale en raison de leur supériorité numérique. Pourquoi créer une séparation dommageable pour tous  là où ils règnent en maîtres ? Et comme nous sommes tous réunis,  je voudrais vous inciter à ne plus  jamais utiliser l’adjectif confédéral, employé à tort pour décrire notre système qui est loin d’être con ! Voilà, c’est dit...”

 

Un élu environnementaliste  s’exclame alors : “Les terrains à bâtir se font rares à l’Ouest. La surpopulation menace. De plus, les eaux du grand lac de l’Ouest ne font que monter en raison du réchauffement climatique. Quel avenir à long terme pour les nouvelles générations de ces territoires limités ?”

 

La grande responsable de la Mutuelle Unifiée s’agite. “Si nous coupons notre système social en deux, les territoires de l’Ouest vont en pâtir aussi. La population est plus vieillissante à l’Ouest. Qui va payer les pensions ? Et les prestations sociales ?”
“Rassurez-vous”, intervient un grand patron, “d’un côté comme de l’autre de la Principauté, il n’y aura bientôt plus de pensions. On mourra au travail, tout simplement. Quant aux malades, c’est simple, on les laissera pourrir en rue comme au moyen-âge. C’est la tendance actuelle...”

 

Une sonnette retentit, un peu comme une alarme. Le Toutpremier, chef politique des Deux Peuples prend alors la parole : “Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de moyens d’action contre la bêtise. Une grande partie des gens sont aigris, racistes et leur vison porte à très court terme. On ne peut empêcher l’Ouest de s’isoler, de se fasciser, et de s’appauvrir pécuniairement et surtout relationnellement. Je pense qu’il faut laisser pourrir la situation jusqu’aux prochaines élections...”

 

Et voilà comment aucune décision n'a été prise. Pauvre Bellechique, elle méritait mieux que de se faire mener par le bout du nez par des facistes. Ah, je sens que je vais encore me faire gronder : autant ils ont le droit de l’être, autant je n’ai pas le droit de le dire...  Mais bon, tout ça n’est qu’une histoire à dormir debout. Vous ne pensez tout de même pas qu’un état puisse en arriver là !

 

 

© 2013   

 

Attention : toute ressemblance avec la réalité est le fruit du pur hasard ou le produit de votre imagination.

 



03/11/2013
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