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Julien

Quand on nous a présentés, j’ai tout de suite senti l’air crépiter autour de nous. Dans ses grands yeux bleus, il y avait deux océans troubles et une pointe de mélancolie. Nous avions 20 ans et toute la vie devant nous. Julien était un homme libre, impulsif, tourmenté. Tout le contraire de moi. Il avait un pouvoir de séduction inné sur toute créature qu’il croisait. Comment dire… Il suscitait du rêve et de l’admiration. Je crois qu’il fascinait les hommes encore plus que les femmes. Il n’était d’ailleurs pas plus stable en amitié qu’il ne l’était en amour : il était insaisissable et cela le rendait mystérieux.

 

J’ai tout de suite senti que j’allais jouer un rôle majeur dans sa vie et lui dans la mienne. Quand ses deux grands océans se sont posés sur moi, j’ai senti comme une tempête balayer le littoral un soir d’orage. J’ai eu l’impression de voir son âme vaciller. Je n’ai rien dit, c’était trop étrange et il était le meilleur ami de mon chéri. Il avait d’ailleurs une petite amie vraiment géniale. Pourtant, un lien silencieux s’est tissé entre nous. Il y avait toujours un moment où il venait vers moi, un mot gentil aux lèvres. Il était le seul à aimer mes peintures, à les comprendre. J’aimais sa fureur de vivre. Nous sommes devenus amis.

 

Je le suivais souvent des yeux. Il faisait des choses étranges. Il avait entraîné mon ami Pol voir des prostituées. Pol s’était dégonflé au dernier moment mais lui était entré. J’avais trouvé ça bizarre qu’un jeune homme si beau avec une petite amie aussi fascinante fasse un truc pareil. Mais de sa part, tout était vraiment surprenant. Quand on l’attendait, il était introuvable. Quand on ne l’attendait plus, subitement, il apparaissait. Il vivait tout à cent à l’heure, boulimique de gens, de relations et d’expériences. Il se comportait comme si demain n’existait pas.

 

Un soir d’automne, le téléphone a sonné. C’était la mère de Julien qui appelait mon chéri. Elle était effondrée : il avait eu un accident de voiture. Elle était avec lui à l’hôpital et appelait tous ses amis. Mon homme n’était pas là, les autres copains non plus, tous retenus par des obligations scolaires. Très vite je m’étais retrouvée à l’hôpital, seule avec sa maman en larmes. Mon esprit bourdonnait, je sentais le chaos et le désespoir tout autour de moi.

 

Dès que j’ai pu, j’ai demandé à le voir et on m’a laissée seule avec lui. Son corps était intact, relié à des machines. Il portait un bandage autour du crâne. Son beau visage était très pâle et ses yeux clos. J’ai pris sa main dans la mienne, elle était toute chaude. J’ai eu la sensation étrange qu’il était là et qu’il m’entendait. Je l’ai imploré de revenir. Pour sa mère, sa copine, ses amis et aussi un peu pour moi. Tout l’air de la pièce vibrait de sa présence, mais j’ai bien compris qu’il ne reviendrait pas.

 

Les moments qui ont suivi ont été terribles. Je suis restée prostrée à côté de sa maman en pleurs. Elle avait de l’espoir et je n’en avais plus. Puis tout est allé très vite. Les médecins sont venus nous annoncer sa mort clinique. Des amis de la famille sont arrivés et ont pris la relève. Je me suis levée comme un zombie, j’ai pris congé et je suis partie. C’est là que Julien m’a parlé. Il m’a parlé sans mot et m’a confié un dernier message. Il disait que cela lui permettrait de partir en paix.

 

Je me suis sentie très mal, porteuse de cette mission qui ne m’était pas destinée. J’ai réalisé l’étrangeté de la situation et l’importance d’accomplir ce qui devait être fait. Un froid glacial est tombé sur moi. J’ai pris ma voiture et me suis rendue au domicile de la personne concernée par le message. J’ai attendu car elle n’était pas rentrée de son travail. J’ai fait les cents pas plusieurs fois dans le frisson du crépuscule. Je ne tenais plus en place.

 

Soudain elle est arrivée, celle à qui j’allais apporter la nouvelle : Victoria, la petite amie de Julien. Je l’ai vue s’avancer, fine et brune, enroulée dans un imperméable gris. Elle était surprise de me voir là.

 

- Salut Vic, lui dis-je. On peut monter deux minutes chez toi ? Il faut que je te parle.

- Il est arrivé quelque chose ? m’a-t-elle demandé, inquiète.

- Oui, mais je préfère qu’on monte chez toi pour en discuter.

Alors que nous montions le petit escalier qui menait à son appartement j’ai senti l’émotion m’envahir. « courage », ais-je pensé. « C’est bientôt fini ». Nous nous sommes assises autour d’une petite table et elle a enlevé ses gants de laine. Elle tremblait.

- Vic, il n’y a pas de bonne manière de t’annoncer ceci… Un accident terrible s’est produit et Julien est mort.

Elle a eu un sursaut et son joli visage anguleux a blêmi.

- Pourquoi es-tu là ? M’a-t-elle demandé. Pourquoi toi ?

- Avant de partir, il m’a laissé un message pour toi.

- Un message pour moi ?

- Oui, il m’a dit qu’il voulait que tu sache qu’il t’aimait vraiment et qu’il souhaitait que tu sois heureuse à présent.

Je retenais mon souffle. Des larmes silencieuses coulaient sur ses joues. Elle semblait chercher ses mots. Après un long silence, elle me dit.

- Personne ne le savait mais nous étions séparés. Nous avons fait cela dans la hâte, pour voir si nous pouvions nous retrouver ou pas. Tu sais bien qu’il était indomptable... Je ne savais plus s’il m’aimait…

Dans un sanglot étouffé, elle a ajouté.

- Merci ! Merci d’être venue me dire cela.

 

Tout devenait clair pour moi à présent. Je portais dans mon cœur un morceau du sien. Je sentais qu’il était en paix et que je pouvais m’en aller. J’ai pris congé et je me suis installée dans ma voiture. C’est à ce moment précis que la réalité m’a rattrapée. Brusquement, j’ai été frappée d’une douleur violente dans la poitrine, comme un coup de poignard. Un chagrin indicible qui a duré une semaine entière.

 

J’ai longtemps senti sa présence autour de moi. Jusqu’à ce jour d’automne où je roulais à vive allure sur l’autoroute. Je me rendais au travail, j’étais pressée. Soudain j’ai eu très chaud. Tout l’espace de la voiture est devenu irréel et mon visage était brûlant. L’accélérateur s’est arrêté d’un coup. Je n’avais plus le contrôle de ma vitesse. J’ai dû gagner très rapidement la bande d’arrêt d’urgence. Les quelques secondes qui ont suivi m’ont paru interminables. Devant moi, je l’ignorais, un terrible accident impliquant plusieurs véhicules s’était produit et plusieurs personnes avaient perdu la vie. La décélération brutale de mon véhicule m’avait permis de freiner d’un coup et de m’arrêter, indemne, sur le côté de la route.

 

Julien, je ne sais pas comment tu as arrêté cette voiture. Mais sache que, depuis tout ce temps, je vis ma vie pour deux : chaque jour un peu plus libre et impulsive, comme toi. Et que je porterai jusqu’au bout, mon ange, ton cœur en bannière.

 

© 2012   

Attention : toute ressemblance avec la réalité est le fruit du pur hasard ou le produit de votre imagination.



19/08/2012
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