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Marie

 

 

Il existe un endroit sombre où le bruit de l’eau résonne infiniment. C’est dans ce lieu éclairé de dizaine de bougies éclatées de coulées lumineuses que se trouve un secret bien gardé...

 

Ma grand-mère paternelle était une maîtresse-femme. Son âge et son poids ne lui permettaient plus de bouger de sa chaise qu’elle avait plantée comme un trône au milieu de sa cuisine. Elle tournait le dos à la fenêtre et faisait face à la porte d’entrée de l’autre côté dela pièce. Elle passait là ses journées à dominer le monde et les êtres. Je n’ai jamais reçu la moindre affection de sa part. Juste des mises en garde quand je voulais m’approcher de ses chats. Et bien entendu, je n’avais pas le droit de me rendre dans la cour dont la porte d’accès se trouvait derrière son siège royal.

 

Ma mère avait rampé tant et plus si bien qu’elle l’avait acceptée du bout des lèvres, à la fin. Moi je la regardais toujours droit dans les yeux et elle ne m’adressait jamais la parole. Jen’ai aucun souvenir du son de sa voix. C’est à peine si je me souviens de son nom. J’ignore la couleur de ses vêtements. Elle était toujours affublée d’un vieux tablier de travail, elle qui n’en effectuait aucun. Sa maison était d’une laideur repoussante, meublée sans aucun goût et la seule attraction y était un piano abandonné dans un coin sombre. Il y raisonnait un vieux carillon toutes les demi-heures, seul repère temporel dans ce lieu oublié du temps.

 

Ce jour là, vêtue d’une robe claire et du haut de mes six ans, j’avais trompé la vigilance des adultes absorbés par leurs conversations. Je m’étais glissée doucement sur le côté et j’avais atteint la porte de la cour interdite. J’avais franchi ce cap et je m’étais retrouvée dehors. J’étais, je m’en souviens, à la fois excitée et terrorisée d’avoir brisé l’interdit. L’endroit vaguement rectangulaire était entouré de hauts murs aveugles. Il y faisait sombre et humide. L’eau ruisselait le long des parois crasseuses.

 

Au fond, il y avait dans un renfoncement, un autel. C’est là que se trouvait la statue de la Vierge Marie toute auréolée de bougies entamées qui brillaient comme un écrin. Le contraste était saisissant entre la beauté de cette vision et la laideur de tout le reste. Je m’étais approchée doucement pour ne pas salir mes vêtements. Mais, soudain, j’avais été arrêtée net dans ma progression. L’air s’était chargé d’ombres sombres et virevoltantes. C’est là que j’ai eu ma toute première vision. J’ai senti une force immense et j’ai vu les ombres danser. J’étais tétanisée. J’étais là, sans y être. J’étais ailleurs. J’ai entendu les murmures, les bruissements dans ma tête. Je n’y comprenais rien. J’avais envie de m’enfuir mais je ne pouvais pas. Puis, d’un coup sec, j’ai senti un relâchement et j’ai couru à l’intérieur.

 

Je me suis d’abord fait gronder sévèrement mais j’étais dans un tel état de panique qu’on a écouté mon histoire. Puis les adultes ont ri et cela m’a blessée. Mon père m’a rassurée, ma mère m’a consolée. J’avais trop d’imagination, j’avais rêvé tout cela. Au dessus des autres, le regard de ma grand-mère avait changé de couleur. Elle savait. Elle était la seule à savoir. Ce jour là, son regard s’est posé sur moi avec intensité et j’ai baissé les yeux.

 

Je l’ai revue une fois, peu avant sa mort, chez ma tante. Elle descendait péniblement des escaliers en bas desquels je me trouvais. Elle est passée devant moi sans me voir. Je n’en ai gardé aucune rancune. Elle ne m’a tout simplement pas reconnue. La lumière et les ombres, elles, ne m’ont jamais quittée…

 

© 2012   

Attention : toute ressemblance avec la réalité est le fruit du pur hasard ou le produit de votre imagination.



28/10/2012
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